L’homme qui marche
Quelque chose avant sa venue le pressent. Quelque chose après sa venue se souvient de lui. La beauté sur la terre est ce quelque chose. La beauté de l’invisible est fait de l’invisible tremblement des atomes déplacés par son corps en marche.
L’homme qui marche … Ce qu’on sait de lui, on le tient d’un livre. Avec l’oreille un peu plus fine, nous pourrions nous passer de ce livre et recevoir de ses nouvelles en écoutant le chant des particules de sable, soulevées
par ses pieds nus. Rien ne se remet de son passage et son passage n’en finit pas.
Ils sont d’abord quatre à écrire sur lui. Ils ont, quand ils écrivent, soixante ans de retard sur l’événement de son passage. Soixante ans au moins. Nous en avons beaucoup plus, deux mille. Tout ce qui peut être dit sur cet homme est en retard sur lui. Il garde une foulée d’avance et sa parole est comme lui, sans cesse en mouvement, sans fin dans le mouvement de tout donner d’elle-même. Deux mille ans après lui, c’est comme soixante ans. Il vient de passer et les jardins d’Israël frémissent encore de son passage, comme après une bombe, les ondes brûlantes d’un souffle.
Il va tête nue. La mort, le vent, l’injure, il reçoit tout de face, sans jamais ralentir le pas. A croire que ce qui le tourmente n’est rien en regard de ce qu’il espère. A croire que la mort n’est guère plus qu’un vent de sable. A croire que vivre est comme il marche – sans fin…
Christian Bobin, L’homme qui marche.